Bokar Rimpoché est né le 15 octobre 1940, dans une bourgade d’éleveurs des hauts plateaux arides de l’ouest du Tibet. À l’âge de quatre ans, il fut reconnu comme tulkou de Karma Shérab Eussèr.

 

Karma Shérab Eussèr (1890-1939) était un moine né au Kham qui, à un certain moment de sa vie, voulut accomplir un pèlerinage à Lhassa. Il en profita pour rendre visite au XVe Karmapa dans son monastère de Tsourpou, non loin de la capitale tibétaine. Sans en avoir eu l’intention initiale, il y demeura plusieurs années, installé dans une grotte près du monastère, devenant proche disciple du Karmapa.

 

Par la suite, il décida de poursuivre son chemin vers l’ouest, afin d’effectuer le pèlerinage de la plus sainte des montagnes du Pays des Neiges, le mont Kaïlash. C’était un voyage de plusieurs mois. Une quinzaine de jours avant d’atteindre son but, il fit halte dans une grotte qui lui parut très propice à la méditation, la Grotte du Palais Céleste, proche d’une hauteur appelée « Bokar » (ou Bourkar), ce qui signifie « Blanche Colline ». Il y entreprit la pratique de mille nyoung-né (jours de jeûne complet alternant avec des jours de jeûne partiel).

Son séjour dans la grotte dura environ trois ans. Son jeûne terminé, il ne souhaitait pas particulièrement rester dans cette région, où seul le détour d’un chemin de pèlerin l’avait amené. Les habitants des environs avaient cependant conçu à son égard tant de foi et tant de dévotion qu’ils le pressèrent de demeurer parmi eux et d’établir un monastère. Afin de forcer la décision de l’ermite vénéré, ils demandèrent au XVe Karmapa d’appuyer leur requête. Celui-ci le fit volontiers et Karma Shérab Eussèr ne put que s’incliner devant la volonté du chef de sa lignée. Il resta dans la région et, devenant responsable de communauté, fonda le monastère de Bokar, « Bokar Gœunpa ». Il devint ainsi le premier Rimpoché de Blanche Colline, le premier « Bokar Rimpoché ».

Lorsqu’il mourut, ce fut grâce aux indications données par le jeune XVIe Karmapa que fut retrouvé son tulkou, à quelques jours de marche du monastère.

 

Le nouveau Bokar Rimpoché fut intronisé et commença sa formation traditionnelle à Bokar Gœunpa. À l’âge de treize ans, il partit à Tsourpou pour y continuer ses études auprès du Karmapa. Il y resta trois ans, puis revint à son monastère.

 

Quand il entra dans sa vingtième année, Bokar Rimpoché se rendit de nouveau à Tsourpou afin d’y effectuer la traditionnelle retraite de trois ans. C’était sans compter sur de dramatiques événements. On était en 1959 et les troupes chinoises venaient d’envahir le Tibet. Il se trouva pris dans la tourmente de Lhassa fraîchement investie par l’Armée Rouge et c’est non sans difficultés qu’il put s’en extraire et regagner Bokar Gœunpa.

 

Le jeune Rinpoché comprit immédiatement que l’enfer allait s’abattre sur le Tibet et qu’il fallait fuir, même si sa région restait momentanément préservée. Invitant ceux qui le souhaitaient à venir avec lui, il prit donc la route de l’exil, en compagnie d’un groupe de quelque soixante-quinze personnes, suivies de yaks, de chèvres et de moutons. En plein hiver, essuyant des tempêtes de neige, poursuivis par les Chinois, passant des cols à plus de cinq mille mètres, ils purent, après quinze jours de marche et au prix d’énormes difficultés, franchir la frontière et trouver refuge au Népal, dans la province du Mustang.

 

Peu de temps après, les Chinois rasaient entièrement le monastère de Bokar.

 

Bokar Rinpoché resta un certain temps au Népal, puis se rendit à Rumtek, au Sikkim (alors indépendant), afin de résider auprès du Karmapa, qui avait établi là ses quartiers d’exil. Son souhait ne fut exaucé que partiellement. S’il put rejoindre le Karmapa, il ne put en effet rester longtemps auprès de lui. En raison de la maladie d’un serviteur âgé qui l’accompagnait, il fut contraint de revenir à Darjeeling et de s’y installer.

 

Cette circonstance allait marquer un tournant dans sa vie. Ne sachant où habiter, il trouva un abri de fortune dans l’enceinte du temple de Bhutya Basty. Or, ce temple abritait un autre lama en exil : Kalou Rinpoché. Ainsi le destin noua-t-il la connexion qui allait faire du tulkou de Bokar le plus proche disciple du grand maître venu du Kham. C’est aussi ce qui fit entrer Bokar Rinpoché en relation avec la Lignée Shangpa, alors que jusque-là sa formation ne l’avait introduit qu’aux enseignements de la Lignée Karma Kagyu.

 

En effet, quelques années après l’arrivée de Bokar Rimpoché à Darjeeling, il se trouva que Kalou Rimpoché reçut en don un terrain à Sonada, village situé à une quinzaine de kilomètres de là. Kalou Rimpoché conçut aussitôt le projet d’y édifier un monastère et, plus encore, un centre de retraite de trois ans. Bokar Rimpoché, qui depuis longtemps aspirait profondément à accomplir une telle retraite, en éprouva une grande joie et participa avec enthousiasme aux constructions, faites avec les moyens du bord, faute d’argent. Trois mois suffirent à achever les travaux et la retraite commença. Elle était consacrée aux pratiques de la Lignée Shangpa et Kalou Rimpoché venait lui-même transmettre les initiations et les instructions à ses disciples. C’est ainsi que Bokar Rimpoché put, au cours de ces trois années (1964-1967), assimiler avec bonheur cette nouvelle lignée qui s’offrait à lui.

 

Au cours de la deuxième retraite de Sonada, Bokar Rimpoché continua à résider dans le centre, sans toutefois suivre pleinement le programme des pratiques. D’une part, il était libre d’aller et venir, d’autre part, Kalou Rimpoché lui confia la tâche de guider à son tour les nouveaux retraitants, d’assumer le rôle de drouppeun.

En revanche, il participa à part entière à la troisième retraite (1971-1974),

 

Cette formation lui permettra par la suite de répondre à la sollicitation du Karmapa, qui le choisit pour être le drouppeun du centre de retraite de Rumtek.

Au total, Bokar Rimpoché sera resté plus de vingt-cinq ans auprès de Kalou Rimpoché, l’accompagnant jusque dans ses derniers instants.

 

Lorsqu’il eut terminé ses retraites à Sonada, Bokar Rimpoché songea à se retirer dans un ermitage, mais Kalou Rimpoché l’en dissuada, lui conseillant plutôt de poursuivre sa vie dans le cadre monastique.

 

En 1984, visitant à Mirik, non loin de Sonada, un lieu qui lui paraissait propice, il eut l’idée d’y fonder un petit centre de retraite consacré à Kalachakra. Kalou Rimpoché approuva ce projet et lui avança même les fonds nécessaires à la construction. Toutefois, ce qui, au début, ne devait être qu’un modeste lieu de pratique, devint au fil des ans un monastère de plus en plus grand. Il regroupe aujourd’hui près de deux cents moines, comprend de nombreux bâtiments, dont deux grands centres de retraite où sont enseignées les pratiques karma kagyupas et shangpas.

 

Après avoir été proche du XVIe Karmapa, Bokar Rimpoché entretint une relation intime, animée par une immense dévotion, avec le jeune XVIIe Karmapa, né en 1985, qu’il rencontra pour la première fois en 1992, lors de son intronisation au Tibet. Après la fuite du Karmapa en Inde, il le revit très souvent, lui transmettant de nombreux enseignements.

 

Bokar Rimpoché décéda subitement d’une attaque cardiaque le 17 août 2004, alors qu’il était dans sa soixante-quatrième année. Bien que ses fonctions vitales se soient arrêtées, son esprit resta en méditation profonde pendant trois jours. Diverses manifestations miraculeuses suivirent également son départ de ce monde : arcs-en-ciel, perles saintes tombant de son corps sacré porté en procession autour du temple, apparition à des disciples dans le monde entier…